FLORE ET BOTANIQUE HAUT-MARNAISE

par Jean-Marie Royer

     La flore de la Haute-Marne est étudiée dès le début du 19 ème siècle. De nombreux botanistes ont sillonné le département et ont laissé des écrits. L'un des premiers fût Des Etangs, juge de paix, qui parcourant la Haute-Marne et l'Aube à cheval pour rendre la justice, en profita pour récolter de nombreuses plantes. Un millepertuis lui fût dédié plus tard : Hypericum desetangsii. Demimuid, rédigea la première flore haut-marnaise consacrée à l'arrondissement de Wassy, bientôt suivi par Aubriot et Daguin qui écrivirent une flore départementale en 1885.

     Elle est encore d'actualité de nos jours ; elle recense alors 1492 espèces. La jeune Société d'Histoire Naturelle de la Haute-Marne, ancêtre de notre association, publie en 1911 un catalogue des plantes du département qui complète et corrige la flore d'Aubriot et Daguin. Il est l'oeuvre de deux bragards, Houdard et Thomas. Un troisième ouvrage sur la flore départementale voit le jour en 1950 et 1951.

    Dillemann, futur président de la Société botanique de France, rédige un important complément aux travaux antérieurs. Parmi les nombreux botanistes haut-marnais qui prospectèrent nos campagnes durant la première moitié du vingtième siècle trois d'entre eux se détachent par leur activité infatigable : Aymonin, pharmacien à Chaumont, Gardet, à la fois géologue et botaniste, qui fût le père de la bryologie départementale, et surtout Fournier.

Orchis incarnat et choin ferrugineux

     Ce dernier, l'un des plus célèbres botanistes français, est l'auteur de nombreux ouvrages, dont l'incontournable "Quatre Flores de France", constamment rééditée depuis. Né à Damrémont, où l'on peut voir une plaque commémorative dans l'église, il termina ses jours sur le plateau de Langres, comme curé de Poinson-les-Grancey, après avoir enseigné à Saint-Didier et à Paris. La seconde partie du vingtième siècle, les études botaniques prennent une orientation plus écologique avec les travaux de Didier, Rameau et
Royer.

 

 

      La flore haut-marnaise est bien connue, mais de façon inégale suivant les groupes. Les plantes à fleurs, les fougères et plantes apparentées, ainsi que les bryophytes (mousses et hépatiques) sont recensées de façon très correcte, même s'il reste des découvertes à faire. Par contre les algues n'ont jamais été étudiées. Les lichens ont été peu abordés. Le recensement des champignons, surtout supérieurs, a démarré dès la fin du dix-neuvième siècle. Le maître haut-marnais de la mycologie fût sans aucun doute Antoine, qui découvrit de nombreuses espèces inédites et rédigea de nombreux articles. Il manque néanmoins en mycologie comme en bryologie un ouvrage de synthèse départementale.

Pivoine mâle

 

Pivoine mâle

       La flore du département, très variée, présente de nombreuses particularités liées à la position géographique de la Haute-Marne, à son climat, à ses sols et aux activités humaines. Ce n'est pas très original et l'on pourrait dire la même chose pour les autres départements français. Voyons néanmoins cela d'un peu plus près.
Les sols, liés essentiellement à la nature du sous-sol, entraînent des différences floristiques fondamentales. La plus grande partie du sous-sol du département est constituée de roches calcaires et marno-argileuses (plateau de Langres, Bassigny, régions de Chaumont et de Joinville). De nombreuses plantes calcicoles prospèrent sur les sols dérivés de ces roches, notamment une grande partie des espèces qui peuplent les pelouses, les prés et les bois calcaires. Parmi les plus connues citons de nombreuses Orchidées (Ophrys divers, Orchis militaire, Orchis pourpre ..etc), l'Anémone pulsatille, l'Asaret d'Europe, la Digitale jaune, la Brunelle à grandes fleurs.

 

Brunelles à grandes fleurs

      Lorsque les terrains calcaires sont humides et que le calcaire dissous est abondant dans l'eau des sources, les marais tuffeux se constituent. Ils abritent une flore originale, calcicole et hygrophile, avec par exemple l'Aconit pyramidal, la Swertie pérenne, l'Orchis incarnat et le Choin ferrugineux. A l'inverse, les sous-sols des régions du Der et de l'Apance-Amance constitués d'argiles et de roches acides comme les sables et les grès sont pauvres en calcaire. La flore de ces régions est radicalement différente de celles du reste du département. Des espèces typiquement acidiphiles apparaissent comme la Digitale pourpre, l'Osmonde royale, la Myrtille ou les Sphaignes (sortes de bryophytes retenant l'eau, qui sont à l'origine des tourbières acides).

 

 

       Le climat joue un rôle primordial dans la distribution d e plantes. Celui de la Haute-Marne, réputé froid et pluvieux, est plus rigoureux que celui de la région parisienne. Il peut être assimilé a u climat lorrain, version particulière de climat continental atténué. Ainsi de nombreuses plantes haut-marnaises, adaptées à ce climat, sont qualifiées de submontagnardes car elles sont répandues dans le Jura ou les Alpes, commela Violette rupestre, la Laîche pied d'oiseau, le Théson des Alpes (bien nommé!), la Swertie pérenne, la Gentiane jaune, le Jolibois, la Nivéole. D'autres, surtout présentes en Europe centrale ou (et) orientale, sont qualifiées de médioeuropéennes ou de continentales ; elles supportent bien notre climat particulier, ainsi la Gentiane d'Allemagne, la Gentiane ciliée, la Scille à deux feuilles, la Coronille des montagnes, l'Aster amelle, la Campanule cervicaire. Parmi ces habituées des climats froids, quelques-unes sont plutôt d'origine boréale, comme le prestigieux Sabot de Vénus, fleuron de la flore haut-marnaise, et le rare Sisymbre couché, protégé en France. A l'opposé les espèces des climats atlantiques, dites subatlantiques, sont peu fréquentes dans le département. On les rencontre plutôt dans le Der ou l'extrême sud, au climat plus doux. Citons le Fragon petit-houx, l'Iris fétide et l'Orobanche du Lierre. Quelques-une sont plus communes : la Jonquille, la Gentiane pneumonanthe.

Sabot de Vénus

 

 

 

Gentiane pneumonanthe

 

 

      La position géographique de la Haute-Marne, située en grande partie sur un "col" élevé reliant Vosges et Morvan, pas très loin d u Jura, a favorisé l'implantation des espèces montagnardes. La région de Langres est très proche de la plaine de Saône, elle-même en continuité avec le couloir rhodanien. Bien des espèces méridionales ont remonté cette voie naturelle et ont pu ainsi coloniser les escarpements du sud du plateau de Langres ; beaucoup d'entre elles ont ensuite migré vers le nord par la vallée de la Marne. Ainsi l'Hélianthème des Apennins, l'Inule à feuilles de spirée, la Potentille à petites fleurs, la Violette blanche, le Buis, la Coronille minime, la Necjera turgida (mousse). Ces différentes espèces dites thermophiles se rencontrent sur les versants exposés au sud où règne un microclimat chaud. Elles peuplent les pelouses et les bois clairiérés.

 

Thym serpolet sur foumillière

 

      Les activités humaines ont également contribué à la diversification de la flore. Si l'homme était absent, la Haute-Marne serait couverte d'une forêt uniforme, en dehors des cours d'eau, de quelques marais et rebords de falaises. L'introduction de l'élevage au néolithique ont eu pour corollaire le développement des pelouses et des prairies nécessaires à cet élevage ; en conséquence les espèces héliophiles réfugiées dans les clairières forestières se sont multipliées alors que de nombreuses espèces subméditéranéennes, médioeuropéennes et boréales ont pu s'installer. De même les champs de céréales ont accueilli de nombreuses espèces, comme le Bleuet, le Coquelicot ou le Silène nocturne.

Marais Tuffeux et choin noirâtre

 

Glycérie striée

 

 

 

 

       La création d'étangs (surtout dans le Der) et plus récemment la construction des Lac-réservoirs du Der et de Langres illustrent l'impact de l'homme sur la flore ; des centaines d'espèces végétales des eaux calmes se sont ainsi installées dans le département depuis un millénaire. Elles y étaient auparavant inconnues ou très rares. Parmi les plus notables citons le Potamot à feuilles de graminée, le Potamot zizi, le Limnanthème faux-nénuphar, la Crypsis faux-vulpin, l'Alisma à feuilles de graminée. Les guerres et le tourisme favorisent aussi l'introduction d e nouvelles espèces. Ainsi trouve-t-on à proximité des anciens camps américains de 1916-1918 la Bermudienne des montagnes et la Glycérie striée, espèces nord-américaines naturalisées.

 

Campanule cervicaire

        La flore de la Haute-Marne possède ainsi de nombreuses espèces remarquables, souvent rares ou absentes de la plaine française. Quelques-unes sont des endémiques, c'est-à-dire des espèces particulières à notre région comme l'Ibéris de Durande propre aux éboulis calcaires de l'Yonne, de la Côte d'Or et de l a
Haute-Marne, et l'Euphorbe de Lorey, spécial à la Bourgogne, au sud de la Champagne et à la région de Paris. Parmi les espèces les plus remarquables du département figurent quelques célébrités végétales comme le Sabot de Vénus, la Pivoine mâle, la Swertie pérenne, la Gentiane jaune, le Lis martagon, le Narcisse des poètes, le Jolibois, la Campanule cervicaire, ainsi que de très nombreuses Orchidées.

 

Jolibois

 

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